Bon, je voulais faire beaucoup de critique cette semaine, prendre le temps d’analyser et de présenter Nightly News de Hickman, c’est un oiseau… ? (que je viens juste de recevoir lui, donc je suis excusé ?), East of West ou encore le Néonomicon en plus donc de la critique de cette œuvre… Mais j’ai manqué de temps et donc aujourd’hui, on va (comment ça encore ?) parler d’Alan Moore et de sa Ligue des gentlemans extraordinaires.
Avant de me lancer dans l’exercice, je vais devoir faire une précision un peu lourde. La parution française de ces œuvres est chaotique. Et j’ai acquis courant 2014 alors que je créchais encore à Besançon une édition « Intégrale » de Panini… qui en fait ne reprends que les deux premiers épisodes de la saga qui se continue sur pas mal de tomes mine de rien. Entre The black dossier qui fait office de tome 3, Century en volume 4 ainsi que la trilogie de la fille de Nemo qui poursuis les aventures de son père (et deux autre volumes de l’équipe original je crois, si j’ai bien suivi). Mais je n’ai pas lu au-delà des deux premiers épisodes, notamment parce que mon libraire qui commence à me connaitre vu que j’ai craqué l’équivalent de deux PEL chez lui m’en a fait une exégèse terrible où le niveau intellectuel et scénaristique est au plus bas. Ce qui m’a dissuadé d’acheter la suite et même de lire les scans, donc je me contenterais de parler ici des deux premiers épisodes.
Cette longue introduction étant faite (vous êtes toujours là ? Si oui répondez « Je suis une grenouille chafouine » en commentaire). De quoi ça parle ce comics ? L’idée de Moore à la base est simple quelque part, mais brillante dans sa conception. En se moquant des équipes aux capacités extraordinaire, Moore en conçoit une en puisant dans l’imaginaire collectif pour réunir les personnages iconiques du XIX et de sa littérature, empruntant ici Dupin à Edgar Alan Poe (Double assassinat dans la rue Morgue, La lettre volée), Allan Quatermain de Haggard (les mines du roi Salomon), Mina de Stoker (Dracula), et en vrac parce que je suis fatigué de checker les noms d’auteurs et de bouquins pour vérifier si je me goure pas : Nemo de Vernes, Docteur Jekyll de Stevenson, Phileas Phog de Vernes, Gray de Wylde, Cyrano, l’homme invisible de Wells, Moriarty de Conan Doyle… Ainsi, Moore coagule dans cette œuvre l’héritage imaginaire du Grand Siècle pour réinvestir ces héros dans des approches plus contemporaine quoique narré sous l’Angleterre victorienne.
Avant d’aller plus loin, il convient de noter que cette œuvre fut adaptée au cinéma en 2003 et c’est l’une des pires bouses de l’histoire, la photographie est immonde, l’histoire est ennuyeuse, les personnages caricaturaux, le dénouement ridicule, le jeu d’acteur absent… j’en veux pour preuve la réaction de Moore au film :
Citation
Dans le film adapté de La Ligue des Gentlemen extraordinaires — dont je n'ai rien à faire et que je n'irai pas voir —, les producteurs américains ont cherché à introduire des personnages américains pour contrebalancer tous ces personnages européens. Le seul qu'ils aient pu trouver était Tom Sawyer. Ce qui en dit long, je pense, sur la pauvreté de l'imaginaire américain.
Ayant vomi à mon habitude sur le cinéma trop mauvais, reprenons.
De quoi parle du coup ces deux tomes ? J’ai trouvé ce résumé concis mais efficace sur le net que je vous partage :
Citation
1898. Dans un Londres victorien et futuriste à la fois, une équipe atypique est formée pour contrer les ennemis qui menacent la couronne et le pays. Campion Bond réunit Mina Murray, une mystérieuse lady, l'aventurier Allan Quatermain, le génial Capitaine Némo, le mystérieux Hawley Griffin et le terrifiant Docteur Jekyll et Mister Hyde.
Ensemble, ils vont faire face à une bataille aérienne au-dessus de Londres puis à un débarquement extra-terrestre
Je ne vais pas vraiment gloser sur l’histoire, elle n’est pas vraiment surprenante dans sa narration, bien plus dans sa construction. Cet œuvre est un hommage, aussi simplement que ça. Pour les amoureux de littérature, on retrouve les héros de notre jeunesse (pour ceux qui comme moi, ont dévoré Vernes, Wells, Doyle, Wilde… à la protoadolescence) mobilisé dans une aventure à la justice league / avengers contre des méchants eux-mêmes issu de cet imaginaire. Et on est donc bouffé de nostalgie à la lecture. C’est même la principale qualité de l’œuvre, offrir une seconde vie à nos lectures antérieures pour offrir au nautilus une course de plus, à Jekill une chance de s’apaiser… Parce qu’au-delà de ça… la narration est terrible, on présente les personnages dans l’expression même de leur humanité noire, inhérente probablement à leur statut de Héros. L’hommes invisible est un violeur arriviste sans pitié, Mina est une damnée incapable de s’autoriser une vie, Quatermain un homme sur la fin qui regrette d’avoir tout perdu et si mal vécu, Jekyll est un Hulk sournois à la puissance infinie mais au conflit intérieur si immense.
Moore exploite à son habitude ici le territoire de l’enfance vicié par la folie des adultes. C’est l’histoire d’un enfant qui rêve de sauver le monde face aux atrocités de ces lectures et qui devenu adulte n’arrive pas à contrôler ses pulsions nouvelles, qu’il n’a pas appris tant à connaitre qu’à apprivoiser. La satire est donc évidente mais élégante à n’en pas douter. On se perd avec plaisir dans la débauche des personnages qui face à l’apocalypse réagissent avec un flegme tout anglais pour sauver la situation quitte à en perdre leur dignité et leur honneur. Il n’y a pas de sacrifice trop grand et il n’y a pas confrontation juste (on pensera à la dernière danse entre Jekyll et Griffin), le monde est cynique, l’histoire aussi. Et c’est probablement ce qu’on retiendra de l’œuvre après l’avoir lu, à la nostalgie s’ajoute le malaise et l’impression d’avoir vu de trop près l’humain qui dans sa grandeur est incapable de s’empêcher de perpétrer des horreurs. Comme souvent, Moore reprend le chant du siècle, l’homme est une abomination, un loup pour lui-même qui agis sans pitié ni justice dans l’action, narrant après une illusion de noblesse pour que les exploits soient magnifiés, glorifiés, occultant ici et là les horreurs nécessaires pour leur accomplissement.
Le dessin quant à lui est de O’neil est appuie cette narration par un style très particulier, à l’esthétique quasi surréaliste, voire naïf par moment. Pourtant, le trait est tellement fin, chaque case est un univers à part entière magnifique de détails et de passion rendant chaque moment intense dans son essence.
Je laisse quelques planches parler d’elles-mêmes
On remarque dans celle-ci la violence et la démesure de l’histoire, particulièrement nonchalante dans la narration.
L’humour toutefois n’est pas en reste comme le prouverons certains extraits.
Bref, que retenir de ce livre. J’ai été, vous l’avez sans doute remarqué, moins dithyrambique qu’à l’accoutumé. Et pour cause, ce comics est loin d’être mon préféré de Moore. Si l’idée de base m’a séduit très vite et m’a plongé dans des souvenirs de mes heures perdues à écumer les bibliothèques, je me suis vite laisse submergé par la narration avec une certaine impression de noyade. L’ambiance est étouffante et l’habitude de Moore de découper ces planches avec un moule à gaufre (figurativement, désolé haddock) pour donner son classique 3 case de longueur sur 4 de hauteur… ça ajoute au défaut une linéarité que le scénariste n’arrive pas forcément à sauver. Bien sûr, comme souvent, le verbe de Moore est merveilleux et on retiendra quelques fulgurances :
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Au-delà du détroit s'étend Anostus la verdoyante, arrosée par deux fleuves nommés Plaisir et Douleur. Les arbres longeant leur cours produisent des fruits de deux sortes. Celui qui mange de l'un n'aura plus rien à désirer. Son âge s'inversera, il redeviendra un enfant heureux. Le fruit de l'autre apportera une vie d'afflictions et de larmes.
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Ironie suprême, une autre île était accessible à la nage : Herland, peuplée de femmes superbes qui engendrent leurs filles par parthénogenèse, et qui n'a pas vu d'homme depuis le IVe siècle de notre ère. Si l'infortuné Crusoé avait eu notre almanach, son isolement eût été plaisamment rompu.
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Nous atteignons enfin le château haut perché dans les Carpates où Il vivait jadis, et satisfaisait aux besoins dont dépendait Sa survie. Je ne parviens pas à tracer Son nom, bien que les faits remontent à plus de quinze ans. Vraiment, je suis ridiculement émotive.
Mais la poésie, l’humour et les référence n’ont pour une fois pas suffit à m’emporter dans son monde, me donnant plus l’impression d’avoir affaire à un Frankenstein d’idée, suturé de partout avec des greffes de milliers d’histoires, sans pour autant me captiver dans le récit.
Peut-être qu’un jour j’aurais le courage de me plonger dans la suite pour découvrir la fin des aventures de ces héros si atypique et si iconique en même temps.
Malgré mes réticences, je recommande tout de même la lecture de cette œuvre, elle est singulière, c’est un ovni vraiment étrange dans le monde des comics, un trésor à découvrir et à jauger soi-même, suivant nos propres attentes et nos appréhensions.
On se retrouve très vite pour un autre retour
Ragne